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Célia Oneto Bensaid, une pianiste hors-pair !

Une interview avec Célia Oneto Bensaid, c’est toute une symphonie : un rire franc et joyeux, un enthousiasme communicatif et une passion qui respire à travers chacun de ses mots. La trentaine inspirée, elle nous promet un programme des plus alléchants autour de Marie Jaëll le 10 mai avec l’Orchestre National de Bretagne au Couvent des Jacobins à Rennes, le 11 mai à Saint-Pol-de-Léon. 

Parlez-nous de votre parcours…

Je suis parisienne, mes parents m’ont mise au piano à l’âge de six ans. Je suis entrée d’abord au Conservatoire d’arrondissement. J’aimais bien le piano, mais plutôt comme une petite fille qui fait des pirouettes et aime impressionner…

À 12 ans, j’avais déjà fini les niveaux et je suis entrée au Conservatoire à rayonnement régional de Paris en horaires aménagés, école le matin piano l’après-midi. Puis, à l’âge de 15 ans, j’ai rencontré Brigitte Engerer, pianiste de grand renom. J’étais une vraie adolescente et lors d’un cours sur une sonate de Schumann, lorsqu’elle m’a demandée comment j’allais, je me suis écroulée en larmes : « mon petit ami vient de me quitter ». Sa réponse a fusé : « Parfait ! Tu vas te servir de ça pour interpréter Schumann ! » J’ai alors compris comment transformer mon art en vecteur d’émotions. Une véritable révélation ! Et je n’ai plus pu m’arrêter depuis…

J’ai poursuivi ma formation au  Conservatoire National de Musique de Paris, y ai suivi les classes de piano, mais aussi d’accompagnement et de musique de chambre, en parallèle de nombreux concours internationaux. Le pianiste est souvent seul, un peu égocentré, mais avec un répertoire énorme. J’avais besoin d’ouverture sur l’opéra, sur les textes… car tout ce qui contient de l’écriture me porte ! Mon imaginaire, mes couleurs sonores, se sont nourries de ces classes d’accompagnement. Je suis restée 8 ans au Conservatoire, et j’en suis sortie avec 5 prix. J’aime passionnément l’alternance entre ma solitude de pianiste en récital et le partage avec des orchestres, et des collègues musiciens, les voyages, le côté international et universel de la musique, je me nourris de tous les milieux sociétaux… j’aime ce côté protéiforme.

Et ce concert à venir, racontez-nous Marie Jaëll… 

Je suis tellement excitée ! Je me suis intéressée aux compositrices du passé vers 23 ans grâce à Camille Pépin, une amie compositrice. J’ai été frappée par le fait qu’on la ramenait sans cesse à son sexe en omettant souvent de parler de sa musique. Comme si elle était la première femme à composer… Et je me suis rendue compte à ce moment-là que passées Clara Schumann, Fanny Mendelssohn… moi qui suis quand même musicienne et connaisseuse, j’étais bien incapable de citer d’autres noms. 

Alors, je me suis mise à fouiller dans les bibliothèques, à chercher des partitions : si une musique n’est pas jouée, elle est en quelque sorte en sommeil… Une peinture se regarde, mais une partition, elle, s’écoute ! Et il se trouve que j’aime vraiment déchiffrer, donc découvrir du nouveau répertoire est toujours très stimulant ! 

En 2019, Claire Bodin, la directrice de Centre Présence Compositrices m’a permis de découvrir Marie Jaëll grâce à un cycle pour piano seul, « Ce qu’on entend dans l’enfer, le purgatoire, le paradis », d’après Dante. La partition de piano est extrêmement difficile, un vrai défi ! Marie Jaëll était très connue au XIXème siècle, elle a été célébrée de son vivant. À la fois pianiste et compositeur, les journalistes disaient qu’elle « jouait comme un homme » … comme si une femme ne pouvait pas avoir de la puissance au clavier. Aujourd’hui encore, je lis souvent dans les médias « femme compositeur », au lieu de « compositrice » comme si beaucoup ne se remettaient pas du fait que les femmes puissent composer ! 

Pour revenir à Marie Jaëll, qui était donc compositrice et pianiste, elle a notamment été la première pianiste (tout sexe confondus) à jouer l’intégrale des sonates de Beethoven en France, à avoir l’intégrale Liszt (dont elle est une amie proche) dans les doigts ; elle était également une protégée de Saint-Saëns. 

En tant que compositrice, son catalogue est vaste : 2 concertos pour piano, 1 concerto pour violoncelle, beaucoup de mélodies (piano et voix), dont elle écrit la musique et les textes, des pièces de musique de chambre et de nombreuses pièces pour piano solo. Dans les 20 dernières années de sa vie, elle s’est arrêtée de composer pour travailler sur les capacités synesthésiques de la main, en inventant une méthode Le Toucher. Après sa mort, en 1925, au fur et à mesure, son identité de compositrice et de pianiste ont été effacées et n’a été retenu que son côté pédagogue. Nous sommes pour l’instant seulement quelques pianistes au monde à jouer son répertoire. Pourtant, elle devrait faire partie du grand répertoire ! 

Pour la soirée du 10 mai, j’ai effectué un grand travail de recherche, écrit un texte que le comédien Benoit Hattet va incarner. La soirée va s’articuler autour du premier concerto de Marie Jaëll, celui de Liszt, une suite pour orchestre de Saint-Saëns, une pièce de Fauré et un extrait d’une sonate de Beethoven. 

 

Quelle est la place des femmes dans la musique ? A-t-elle évolué depuis vos débuts ? 

Quand on demande au public de citer des noms de compositrices, à partir de 5-6, ils sèchent. Il existe pourtant au moins 70 noms que tout le monde devrait connaître ! Mais j’ai l’impression que la situation évolue. Les compositrices d’hier commencent à être réclamées. Même s’il y a des personnes que cela dérange, considérant souvent sans la connaître que la musique féminine est méconnue car c’est une musique « mineure », la curiosité me semble être grande de la part du public et des musiciens.

Une étude récente menée par l’association Elles Women Composers montre que seulement 6,4% d’œuvres de compositrices (représentant 4% de part du temps) ont été programmées sur la saison 2022-2023 en France… il y a donc encore de la marge ! Lorsque ma génération sera en poste dans les conservatoires, les choses pourront peut-être changer. 

Pour répondre sur ce point côté instrumentiste, j’ai le sentiment que plus on est exposé, plus le milieu est masculin. Le chant lyrique échappe évidemment à ça, car on ne pourra faire chanter le rôle de Tosca ou Carmen à un homme…! J’ai toujours constaté autour de moi que j’avais plus de collègues masculins que féminins, ce qui n’était pourtant pas aussi flagrant au début lors de mes études au CNSM de Paris. Je n’ai pas d’explication objective, mais l’impression que l’on fait toujours aujourd’hui plus facilement confiance encore à un jeune homme qu’à une jeune-femme. Rares sont les festivals où la parité existe. 

 

Est-ce qu’il y a des instruments qui sont une chasse gardée masculine ? Qu’est-ce qu’il faut encore pour faire évoluer les choses ?

Officiellement, il n’y a pas d’instruments réservés aux hommes, mais il y a des milieux moins pénétrés. Historiquement, les femmes de bonne famille faisaient du piano et du violon : des instruments qui « ne déforment pas le visage » (ce sont des expressions d’époque). D’autres instruments comme le violoncelle se jouent entre les cuisses… la société y voyait quelque chose d’obscène, c’est la même chose pour tous les instruments à vent. 

Les choses ont heureusement changé depuis le XIXème siècle, mais les cuivres restent par exemple très masculins toujours en 2024. Souvent, en concert, les instrumentistes sont amenés à démonter leurs instruments pour évacuer l’eau de la condensation. Une femme qui viderait ses tuyaux, cela reste symboliquement profondément masculin dans l’inconscient collectif. Le milieu de la direction d’orchestre, quant à lui,  reste masculin en majorité : ce n’est pas parce qu’on parle de quatre femmes cheffes que le problème est réglé. C’est un peu l’arbre qui cache la forêt ! Et puis, les directions de programmation sont globalement gérées par des hommes. Il faut absolument que l’on arrête de grandir sans modèles féminins. 

Quand on est artiste, on ne peut pas rester dans sa tour d’ivoire, la musique doit connecter à quelque chose d’universel, au sociétal. Et la place des femmes, -la moitié de la population de la planète tout de même !- y est primordiale. Essentielle. 

Découvrez également une interview vidéo de Célia Oneto Bensaid sur le site de l’Orchestre National de Bretagne.