Carole Saout-Grit, « la scientifique des océans »
Résumer le parcours de Carole Saout-Grit en quelques lignes est une tâche compliquée, tant la vie professionnelle de cette scientifique, spécialisée dans l’étude des océans, a été marquée par des projets tout aussi passionnants qu’innovants. Elle a rejoint le réseau Femmes de Bretagne, qui, comme Océans Connectés, le média qu’elle a créé, fédère des gens autour d’un « projet commun et iodé ».
Comment êtes-vous devenue l’océanographe que nous connaissons aujourd’hui ?
Après avoir obtenu une maîtrise en physique générale spécialisée dans la mécanique des fluides à Rennes, je me suis aperçue que la physique des océans était une discipline à part entière. J’ai suivi un DEA océanographie, météorologie, environnement à Brest et intégré le Service Hydrographique et Océanographique de la Marine nationale (SHOM). Pendant un an et demi, j’ai travaillé à la modélisation numérique du Golfe de Gascogne, afin d’en
faire une représentation qui repose sur des équations mathématiques et physiques couplées à des observations. La modélisation numérique permet de reproduire la façon dont les océans sont influencés par les éléments et
forces extérieures, et ainsi pouvoir faire des prévisions de ce qui va se passer dans les années futures. J’ai ensuite rejoint le Laboratoire de Physique des Océans à l’Ifremer pour travailler sur les premiers flotteurs sous-marins autonomes. Ces balises équipées de capteurs physiques, d’une batterie, d’un système hydraulique et d’un logiciel informatique interne, dérivent à 1000 m de profondeur pendant 9 jours et effectuent tous les 10 jours des profils de pressions, de températures, de salinité de l’eau entre 2000 mètres de profondeur et la surface. Ce programme baptisé Argo, financé par l’Europe, a été mis en place pour observer l’état de santé des océans en temps réel. Les flotteurs ont permis de récolter une grande quantité de profils, ce qui fait qu’aujourd’hui, beaucoup d’analyses
proviennent du caractère innovant de ces flotteurs. J’ai donc eu la chance d’être le témoin privilégié de cette révolution qui a bouleversé nos connaissances scientifiques de l’océan depuis ces deux dernières décennies.
En 2007, j’ai dû déménager à Nantes, une ville un peu plus tournée vers ses fleuves que vers la mer. Je n’y ai pas trouvé de laboratoire d’océanographie physique ni d’entreprises travaillant dans ce domaine. J’avais donc deux
choix : soit arrêter de travailler, soit trouver une astuce pour continuer. Après avoir travaillé une petite année pour un bureau d’études brestois implantée à Nantes – chose rare à l’époque puisque le Covid et les nouvelles habitudes
de télétravail n’étaient pas encore passées par là – j’ai créé ma société indépendante « glazeO » pour avoir plus de liberté et de souplesse dans mon organisation. Cela m’a permis de continuer à travailler sur le même programme Argo des flotteurs et à analyser notamment les données collectées en mer par les scientifiques en veillant à leurs qualités. Depuis Nantes, je me suis vite aperçue que peu de gens connaissaient mon métier. Rapidement passionnée par l’entrepreneuriat, j’ai pris conscience du fossé énorme qui pouvait exister entre le milieu académique et le milieu entrepreneurial et privé. C’est là que j’ai ressenti le besoin de connecter les acteurs entre eux, d’expliquer nos métiers, leur importance, d’ouvrir les portes des laboratoires et de partager les connaissances scientifiques. Ce sont de ces constatations qu’est né Océans Connectés.
Pouvez-vous nous parler de ce projet ?
La plate-forme est née en 2021. Il s’agit d’un espace médiatique ouvert pour partager des informations scientifiques sur les océans, des ressources culturelles, éducatives ou pédagogiques ou faire connaître aussi des offres d’emploi ou des événements… Puis nous avons progressivement crée des séries de rendez-vous mensuels, notamment celle de Portraits de Femmes Océanographes. J’ai voulu créer un média grand public pour vulgariser les sciences de la mer. Aujourd’hui, le site prend sa place dans le paysage médiatique, et nous comptons beaucoup d’utilisateurs et de sollicitations. Un comité éditorial et la version en anglais de la plateforme ont été mis sur pied en 2022.
Aujourd’hui, nous comptons environ 5000 utilisateurs actifs par mois, qui viennent de tous les continents. 60 % de nos lecteurs ont entre 18 et 35 ans. Depuis janvier 2023, Océans connectés a reçu l’agrément du Ministère de la
Culture pour la diffusion de la culture scientifique et techniques. Le projet contribue également au programme de la Décennie des sciences océaniques 2021-2030 portée par l’UNESCO qui permet une nouvelle dynamique internationale dédiée à la protection des océans. Aujourd’hui, le travail de journalistes pigistes et rédacteurs scientifiques permet la publication de deux à trois articles par semaine. Notre démarche est de synthétiser certaines publications scientifiques et de les partager, pour permettre à chacun de se nourrir d’informations robustes et transversales. Il n’y a pas de concurrence identifiée à ce média spécialisé et indépendant. Les sciences de la mer concernent de plus en plus la société, et le site vise à faire ce lien entre sciences et société. Il s’adresse aux personnes
passionnées par les sciences et les océans autant qu’à celles curieuses qui souhaitent découvrir le rôle de l’océan dans l’équilibre planétaire et dans notre quotidien.
Le média est gratuit, indépendant et sans publicité et porte l’ambition de fédérer des acteurs qui partagent nos valeurs et ont conscience de la nécessité de ce média pour la société. Nous avons signé des conventions avec des acteurs académiques, des entreprises privées et des grandes écoles pour que le site soit partagé par tous et notamment dans les universités et bibliothèques.
Comment expliquez-vous la jeunesse de votre lectorat ?
Actuellement, de moins en moins de jeunes candidatent dans les filières scientifiques, notamment chez les filles. La restructuration du baccalauréat permet aux jeunes aujourd’hui de ne plus faire de sciences au lycée, et cela est gravissime pour les sciences en général et pour les sciences de la mer en particulier.
Cela se produit au moment même où nous sommes aussi confrontés dans notre discipline, au changement de générations. En océanographie, il faut donc aussi s’assurer de transmettre les savoirs et les savoirs-faire entre les
partants et les nouveaux arrivants.
Pour toutes ces raisons, il y a donc un véritable enjeu à incarner la science, à ouvrir les portes de laboratoire, et à partager. Le média est très lu par des étudiants qui y trouvent une information centralisée et des témoignages qui
montrent la diversité du métier. Océans connectés doit pouvoir inspirer les nouvelles générations !
Perrine Molière