Angélique Monnier « J’aime la qualité, la précision, le produit »
À 47 ans, Angélique Monnier, cheffe et fondatrice de Yoden, a eu un parcours semé de multiples embûches. Mais, cette femme réaliste, courageuse, est avant tout une sacrée battante !
Parlez-nous de votre parcours…
J’ai grandi à Laval. Ma mère était femme au foyer, mon père maçon, je suis l’avant-dernière d’une famille de huit enfants. Nous vivions modestement mais nous ne manquions jamais de rien. Je n’étais pas scolaire, et j’ai fait un BEP mécanique industriel. J’étais la seule fille dans la classe ! Quant à moi, je voulais être gendarme, pour l’honneur, l’uniforme, servir mon pays… Mon père me disait « ce n’est pas pour les filles ! » Cela m’a poussée à lui prouver le contraire.
Après le Bac, je me suis mariée et j’ai eu quatre enfants. Je me suis d’abord occupé d’eux, puis j’ai passé le concours de gendarmerie. La formation était à Montluçon, dans l’Allier, je revenais seulement les week-end. Mon mari m’a toujours soutenue et ma mère m’a beaucoup aidée. J’ai ensuite été mutée un peu partout dans le grand ouest pendant 12 années, nous déménagions tous les deux, trois ans. La rigueur, la discipline, la droiture, le relationnel : j’ai appris tout cela en étant gendarme. Je sais que je peux m’adapter à toutes les situations. J’étais très souvent la seule femme, il fallait faire ses preuves… mais bon, je suis ceinture noire de judo !
Vous changez alors de chemin…
Je voulais me reconvertir, être indépendante, tout en gardant une certaine discipline. La cuisine s’est naturellement imposée. Et pourtant, à ce moment-là, je ne savais absolument pas faire à manger ! Quand on apportait des gâteaux à l’école des enfants, j’avais un peu honte des miens, en sachet. Alors, j’ai commencé à confectionner mes propres desserts. Le premier ? Une tarte au citron meringuée qui a fait l’unanimité ! J’ai alors eu envie d’ouvrir ma société. Mais pour être crédible, il faut des diplômes et les écoles de cuisine sont chères. Un de mes proches me propose de me payer les cours de Paul Bocuse.
Je démissionne de mon poste de gendarme pour me consacrer pleinement à ma nouvelle passion, je passe le concours… et je suis prise ! Je trouve même un stage dans un deux étoiles dans le Finistère. Mais ce proche me laisse tomber. La catastrophe ! Je n’avais plus de travail, un crédit immobilier pour la maison, que je ne peux plus rembourser. Mon banquier ne veut rien entendre. Il me fiche même à la Banque de France. Celle-ci nous ordonne de vendre la maison, nous devons aussi aller dans les banques alimentaires. Et puis, je sombre dans une profonde dépression. Nous déménageons à Cesson-Sévigné, ma sœur se porte garante. Je trouve du travail dans une usine,
Pourtant, vous décidez de remonter la pente…
Un jour, je me dis ce n’est pas possible, ma vie ne peut pas ressembler à ça. Des portes se sont ouvertes… je prends alors tout ce que je peux trouver comme travail : à la chaîne, de nuit… Je voulais m’en sortir coûte que coûte. À Pôle emploi, j’apprends qu’il y a un job dating à la Baule pour le restaurant du palace 5 étoiles l’Hermitage. Sur place, il y a plein de files disposées par catégorie de métier… je me faufile et j’arrive devant le chef exécutif des hôtels Barrière, qui me dit : « Je crois que vous vous êtes trompée, ce sont les cuisiniers ici ! » « Non, je suis au bon endroit ! »
Devant ma détermination, il finit par me recruter et je fais deux saisons où j’apprends toutes les bases. Mais pour être légitime, il me faut encore des diplômes : je passe un CAP de pâtisserie à Laval. Je fais ensuite des petits boulots, enchaîne les saisons dans les restaurants. Et puis je postule dans l’école de Thierry Marx. J’échoue la première, mais réussis la deuxième fois. Je dois monter à Paris. Je suis logée grâce à mes anciens collègues, qui me trouvent un appartement vacant… à la garde républicaine ! Je suis la formation, très dense sur plusieurs mois, passionnante ! Je suis à fond et je sors major de ma promo. Je fais un stage d’un mois à l’Élysée : impressionnant ! Je sais faire la cuisine, les desserts, il me manque le pain ! Je postule pour l’école spécialisée de Thierry Marx à Toulouse. Je me lève à 3h30 le matin, j’ai 45 minutes de route, mais je ne serai jamais en retard ! J’obtiens mon diplôme et je pars au Château du Nessay à Saint-Briac.
Quel est votre projet aujourd’hui ?
Faite partager la gastronomie au plus grand nombre ! J’ai l’idée d’un food truck. Mais je ne peux prétendre à un crédit, je suis toujours fichée à la Banque de France. Je suis une formation de création d’entreprise, je ne suis pas prête, je n’ai pas d’argent, mais il faut que je le fasse ! Parmi les intervenants… un banquier. Il évoque une cellule pour aider les personnes en grande difficulté financière. Je prends rendez-vous, il refuse de me soutenir, me dit de retravailler mon projet. Je l’écoute. Je retourne le voir… lui propose plus une offre de traiteur originale, sans camion… il me dit « banco ! » Pour le nom « Yoden », je voulais associer les produits de la mer et du végétal, l’iode et le « en » pour que cela sonne breton !
Mon idée est de créer des événements sur-mesure, avec une mise en scène du buffet, des supports travaillés… j’emmène le consommateur chez les producteurs, comme avec la Fine de Cancale à St-Méloir-des-ondes. J’aime emmener les personnes découvrir ce qu’ils mangent. Je commence sur les marchés, je réalise le cocktail de l’arbre de Noël de Destination Rennes au Couvent des Jacobins… À chaque prestation, je n’ai que des éloges… mais j’ai du mal à trouver des clients. Le début d’année 2024 a été compliqué, juin est un meilleur mois, je fais un repas pour 60 personnes, des 60 ans de mariage, des Team building, je figure dans le guide du Petit Futé…
Qu’aimez-vous dans le fait d’entreprendre ?
Je n’aime pas la routine, je cherche toujours l’originalité. J’ai envie de montrer que c’est possible, j’ai l’impression que depuis toute petite, je me suis toujours dit que c’était possible! Ce que j’aime aussi, c’est qu’il faut se dépasser et être infiniment créatif.
Que peut-on vous souhaiter ?
De gagner le concours Goût et santé ! Nous sommes trois finalistes dans la catégorie salé à nous rendre à Paris le 18 novembre prochain pour cuisiner devant un grand jury. J’ai déjà gagné un concours pour représenter les femmes entrepreneures de l’Ille et Vilaine. Je suis même allée à Matignon ! On peut me souhaiter aussi des clients, car je touche le chômage encore jusqu’en mars 2025, et si mon activité n’a pas démarré d’ici-là, je serai obligée de tout arrêter ! Et puis on peut me souhaiter d’être toujours cette femme battante !
https://www.yoden-traiteur.fr
©Baptiste MOURCEL